Première partie : le choix
Tout a commencé il y a quelques années lorsque Florian m'a parlé de cette épreuve extrême qu'était l’Alpsman. Il était alors difficile pour moi d'envisager de faire un IronMan, alors sa version extrême...
Les années ont passé et pour des raisons d'agenda personnel 2019 était la bonne année où tenter la grande aventure. Mon choix s'est alors porté sur l'IronMan de Nice : beau parcours un peu montagneux. Malheureusement cela tombait un jour où un ami se mariait. J'ai alors fait le tour de tous les IronMan possibles en Europe et aucun ne me convenait : ils étaient en plein été ou très plat et je ne voulais pas m'entraîner dans la chaleur ou bien j'avais un mariage de prévu ce week end là.
Florian a ensuite mené un lobbying intensif. J'ai failli le faire craquer pour le triathlon de l'Alpe d'Huez mais il m'a eu à l'usure : l'objectif 2019 sera bien l'Alpsman. Malheureusement pour lui, une blessure en ski de fond l’empêchera de poursuivre l’aventure après Janvier.
Au menu : 3.8km de nage dans le lac d'Annecy ; un parcours vélo digne d’une étape de montagne du tour de France : 183km de vélo avec 4400m de dénivelé positif (7 cols dont un hors catégorie) ; un marathon avec une option : si on passe au km25 avant 12h de course, l'option de finir en haut d'une montagne, le Semnoz.
Deuxième partie : la préparation
La préparation fut longue : 40 semaines dont 7 mois sous la direction de Tom Dureux mon coach. Je me suis entraîné 9 heures et demi en moyenne par semaine avec un pic de 27 heures, à raison de 6 à 9 entraînements par semaine. Voici quelques chiffres :
- 4300km de vélo, dont 1700km sur 2 mois
- 1300km courus à pied
- 160km nagés en piscine
- 400 heures d'entraînement
Le tout souvent à rythme lent pour gagner en endurance.
Grâce à Tom les semaines n'étaient pas monotones mais il fallait beaucoup d'organisation pour pouvoir caser toutes les séances dans la semaine : footing pour aller au travail, puis piscine le midi, préparer les affaires correspondantes, s'entraîner en fonction de la météo, etc...
A 20 jours de l'épreuve j'ai eu de moins bonnes sensations. J'ai alors réduit la charge d'entraînement et mon état de forme s'est amélioré, mais c'était dur de gérer l'équilibre entre "je souhaite m'améliorer" et "je dois me reposer".
Troisième partie : le jour J !
Petit réveil à la fraîche à 3h du matin. Je ne suis pas fatigué, trop concentré sur ce qu'il m'attend. J'avale mon petit déjeuner et on file dans la zone de départ pour laisser les différentes affaires. Une grosse logistique : il faut prévoir les boissons énergétiques pour le vélo, pour la course à pied, les sandwichs, prévoir les affaires pour la natation, etc...
4h30 : embarquement sur le bateau qui nous lâchera au milieu du lac. L'ambiance entre les participants est bonne mais les gens parlent peu. Le capitaine (/DJ) passe la musique du film Requiem for a Dream, sûrement pour détendre l'atmosphère, c'est raté, la pression monte ! Tout le monde se rend compte de ce qui nous attend. On frémit d'impatience (ou de peur !). Le jour se lève petit à petit et on distingue au loin le trajet de bouées à suivre.
Resquilleur dans l'âme, j'attends le dernier moment pour sauter à l'eau. Elle est à 17 degrés, ce qui peut paraître beaucoup avec une combinaison, mais à 5h20 du matin ça reste frais. Autant rester le plus longtemps possible sur le bateau. Le moment venu, je saute. Le départ est prévu d'un moment à l'autre et on patiente à la ligne d'arrivée. Les minutes s'écoulent et toujours rien...05h35 enfin, la corne de brume du bateau sonne et on s'élance !
Le début est comme beaucoup de triathlons assez chaotique, je me prends un coup de pied dans la mâchoire. Petit check des dents : aucune ne manque à l'appel, on continue. Je n'enregistre pas l'épreuve sur ma montre et il est dur de savoir où j'en suis mais je pense zigzaguer pas mal. Les minutes s'écoulent et je pense à tous les conseils : bien allonger, garder la tête droite, ne pas trop battre des jambes, etc... Je regarde alors l'heure : 6h25, je me dis que j'ai fait plus de la moitié et ça me fait du bien. Je bois la tasse de temps à autre et comme c'est l'eau d'un lac pur, ça ne devrait pas me faire de mal ! L'eau est froide mais c'est supportable.
Les minutes s'écoulent et enfin j'aperçois le port de St-Jorioz et l'arche d'arrivée. Secoué par les vagues, j'ai assez soudainement un haut le cœur et bim je me mets à vomir à petites doses. Je pense alors au conseil d'un ami : "en nage en eau libre, vomir, c'est repartir !" L'eau libre et les soirées étudiantes ont plus de points communs qu'on ne le pense. Je me dis que l'eau du lac d'Annecy n'était pas au goût de mon estomac et qu'il fait ce qu'il faut en la rejetant.
Sortie de l'eau : je guette Manon et Florian qui sont au rendez-vous. C'est bon, étape 1 du périple finie !
Bilan : 1h11, 1'51''/100m. Temps correct par rapport à mes prédictions et ma trajectoire sûrement pas très rectiligne.
En transition je prends le temps de me changer mais je me trouve assez rapide. Bilan : 11 minutes, 428ième temps sur 488. Clairement à la rue
!
Je pars en vélo sur un rythme assez soutenu car je suis frigorifié. Je tremble de toute part et j'ai hâte d'attaquer le premier col. Ça tombe bien, il arrive après 5 minutes !
Je pars sur le rythme prévu avec mon coach : 220-230 Watts dans les cols et pas plus de 150 pulsations cardiaques par minutes. Assez vite le cardio est un peu haut mais comme le reste des sensations est bon, je continue.
Les minutes s'égrènent et je repense à Florian qui me disait la veille : t'es foutu, tous les mecs se sont épilés les jambes. En effet, dur de trouver un mollet velu parmi les participants. Un rapide calcul d'aérodynamique me fait estimer la perte de vitesse à 0.001km/h et je passe outre ce potentiel désavantage !
Deuxième col : cela fait 1h50 que je pédale et j'arrive en haut du Semnoz où je vois Manon et mes parents qui m'encouragent. Même si je ne suis pas dans le dur, ça fait plaisir ! Rapide refuel d'eau que je mélange à de la poudre isotonique, et c'est reparti ! La descente est en travaux et il y a PLEIN de gravillons. Les organisateurs nous ont prévenu et par conséquent je la joue prudente, à l'inverse de certains concurrents mais bon, je préfère finir en un seul morceau.
Le reste s'enchaîne à rythme soutenu : col, descente rapide, rechargement aux ravitaillements, encouragements de ma famille, etc... Manon me lit en courant à côté de moi les messages envoyés par mes soutiens et ça me fait chaud au cœur !
Quatrième col (sur 8) de la journée, et je commence à sentir la fatigue. Il reste encore un gros bout et dans les virages à 10% d'inclinaison, au soleil, par 28 degrés C, seul, je perds quelques "points de moral".
Cinquième col : je suis rejoint par Florian en vélo avec qui on veillera scrupuleusement à respecter les règles (pas de drafting, pas d'aides aux ravitaillements, etc.…). Ça me fait du bien de le voir. Ma puissance chute : impossible de tenir les 220-230W, je passe à 200W. Il faut tenir bon, je récupérerai en descente. Je change alors ma stratégie de course qui était d'essayer de gérer le fait de peut-être éventuellement sur un malentendu sonner la cloche donnant le droit d'être top finisher. Nouvel objectif : finir le vélo dans un état correct. Ça sera lake finisher, je ne suis pas capable de plus aujourd’hui.
Col suivant : la dernière grosse difficulté de la journée, j'en c*** vraiment (pas d'autre mot possible !). Un certain nombre de cyclistes me dépassent. Je me dis que le marathon sera impossible.
Je tiens bon et dans la descente je dis à Flo : allez on y va, ouvre ! On lâche les chevaux, on file à 60km/h, et ça fait du bien de se lâcher en vitesse !
L'alimentation devient petit à petit un problème : je n'ai pas envie de manger alors que je ne peux poursuivre sur un marathon si je n'ai pas suffisamment mangé. J'essaye de me forcer mais c'est dur.
Les kilomètres continuent de défiler et les bosses s'enchaînent. Aucune partie du parcours vélo n'est plane. Je commence à avoir une douleur au genou gauche, que j'ai eue à l'entraînement mais avec laquelle je n'ai jamais couru de marathon...
Les supporters sont vraiment au top: ils acclament chaque participant, qui les remercie en retour. Même dans des virages isolés d'un col, en plein soleil il y a des personnes qui nous encouragent. Quelle bonne ambiance ! C'est la même ferveur qu'au marathon de New-York mais avec moins de public puisque ça se déroule dans les Bauges et pas à Manhattan.
Le vélo touche à sa fin, je libère Florian de ses engagements et attaque la dernière descente tout seul.
Bilan : 9h03 dont 16' à l'arrêt pour les ravitaillements, 20.4km/h, 4400m de dénivelé positif, 5600 calories brûlées. Le parcours des superlatifs !
Arrivée au parc à vélo : j'ai l'impression que trois quarts des vélos y sont présents et que je suis dans les derniers...
Je me change rapidement pour la course à pied et j'enfile ma casquette Falcon 8X (pour son long rayon d'action). Je me trouve là aussi assez rapide alors qu’encore une fois je serai un des plus lents (361/488)...
Départ de la course à pied : je me rends compte que je n'ai pas paramétré les écrans de la Garmin prêtée par Jérôme. Elle affiche uniquement que ma vitesse instantanée et la distance. Des mois de préparation pour chaque détail et je bute là-dessus... Je la re-paramètre en courant, ajoute le cardio fréquencemètre...d'un concurrent à proximité, puis recommence l'opération une fois qu'il s'est éloigné et c'est parti.
La forme est correcte, je me limite au cardio et en vitesse pour ne pas exploser. Je me concentre sur cette première boucle de 12km en me disant qu'il faut faire ça petit à petit. J'ai toujours mal au genou et je le masse à chaque ravitaillement.
Je discute avec les concurrents qui ont une boucle d'avance sur moi soit une bonne heure et qui vont, eux, sonner la cloche à temps pour finir en trail les 17 derniers km. Je me dis que c'est dommage de ne pas être à leur niveau mais je ne vois pas ce que j'aurai pu faire de plus, en entraînement ou pendant la course. Pas de regrets.
Pendant cette boucle on passe par une forêt et les côtes sont violentes. Je me décide donc à marcher. J'accélère en descente mais je perds du temps. Bilan : 6'10''/km environ.
Je m'arrête à chaque ravitaillement pour me forcer à boire et à manger. Hormis les oranges rien ne me tente. Je sens que je vais vomir si je me force à manger.
Je finis cette première boucle et je fais alors le calcul suivant : si je marche à 4km/h alors j'aurai le temps de finir les 30 petits kilomètres restants avant la deadline de minuit ! C'est presque dans la poche !
J'attaque la 2ieme boucle de 12km et là mon rythme ralenti et je ressens une fatigue générale. Je tourne à 6'30'' au km. C'est lent. Chaque côte et chaque ravitaillement me ralentissent. Je commence à marcher de temps en temps. Je tente quelque chose de nouveau à chaque ravitaillement : la boisson isostar goût citron (beurk), coca, tucs, banane, mais rien ne me tente vraiment.
J'arrive à la boucle de 8km et j'annonce d'emblée à Manon et Florian qui ont chaussé leurs runnings : fichez moi la paix, je marche ! Ils ne se laissent pas faire et réussissent à me faire trottiner les bougres ! Je finis cette boucle et réalise alors que j'ai fait TRENTE kilomètres, c'est beaucoup. Il n'en reste plus que 12, c'est rien, je convertis cela en unité de mesure Dassault ( le Longchamp, du nom de l'hippodrome autour duquel on courre à la pause du midi). Cependant la fatigue s'accumule, et je n'ai plus d'énergie. Je vois un concurrent assis dans l'herbe qui regarde un ruisseau s'écouler et je me dis que c'est une option attirante : une petite pause à la fraîche. J'arrive à rester lucide : "le Mal de déguise souvent en Bien" comme on dit et je me décide à marcher plutôt que de m'arrêter. Je suis tellement fatigué que je marche les yeux fermés en les ouvrant de temps à autre pour voir où je vais.
Kilomètre 39 : Manon et Florian me retrouvent et m'encouragent. Et là je me dis qu'il ne reste qu'un petit tour de Longchamp, je m'imagine à quoi
ressemble ce tour, mètre par mètre, et j'accélère, petit à petit, mais sûrement, et j'arrive à tenir le rythme. Je regarde ma montre : 5'30'' au km ! Toujours 2' plus lent que ma vitesse sur un
10km mais c'est exceptionnellement rapide pour aujourd'hui. Je me rapproche de la zone d'arrivée et j'entends au loin la musique et le speaker, j'accélère encore ! Mais d'où vient cette énergie
?? Oubliée l'envie de vomir, je passe à 4'30'' au km ! Ça tient ! Je double même Manon qui n'arrive plus à tenir le rythme et voilà, la ligne d'arrivée ! C'est fini !!!
Bizarrement à l'arrivée je n'ai pas ressenti de grosse émotion, juste très heureux d'en avoir fini. C'était moins intense que la fin d'un marathon.
Je reçois mon T-shirt et ma médaille et savoure le moment avec mes parents, Manon et Florian grâce à qui je suis arrivé là.
Bilan : 5h01 dont 20' passées à marcher, 2100 calories.
Quatrième partie : le bilan, la suite ?
Classement global : 219/488.
J'ai eu du mal à croire mon classement, j'avais l'impression d'être dans les derniers. A croire que certains concurrents se sont cachés pour me laisser passer !
En fait j'ai été plutôt homogène sur les 3 sports et le marathon a été difficile pour tout le monde.
J'ai peu de regrets sur ma préparation et comme j'en n'ai faite qu'une seule de cette ampleur, je ne saurai pas vraiment quoi changer.
L'objectif était de me préparer à fond sur une épreuve très difficile et de n'avoir aucun regret le jour J. Objectif accompli.
Déçu de ne pas être monté au Semnoz ? Oui car j'aime la compétition mais je n'avais ce 8 juin clairement pas le niveau. J'aurais dû être 20' plus rapide en vélo et finir plus frais pour courir un peu plus vite sur les 25 premiers kilomètres.
Que faire après une épreuve aussi extrême ? Une préparation aussi longue ?
A chaud je me dis que c'est vraiment trop extrême pour que je le refasse. Le moindre pépin mécanique en vélo ou blessure dans les mois précédents l'évènement auraient tout gâché. J'ai eu énormément de chance de ne pas avoir ces problèmes.
J'ai juré à Manon que je n'en referai plus, mais les promesses n'engagent que ceux qui les croient ;-)
Mon coach me conseille plutôt des half IronMan car plus courts, demandant moins de volume d'entraînement, etc...
On verra, pour le moment, repos et profitons de cet été !
Un IMMENSE merci à Tom Dureux mon coach, Manon mon soutien presque quotidien, mes parents et Florian pour le jour J, les innombrables personnes m'ayant soutenu : collègues de Dassault me demandant régulièrement comment j'allais, amis m'envoyant des messages régulièrement, etc... Je ne me risquerai pas à les lister car j'ai peur d'en d'oublier un et ça me ferait de la peine. Ils se reconnaîtront dans ce message. Merci, vous êtes au top :)
Le fin mot de l'histoire : pour ce type de journées hors-normes la vie vaut la peine d'être vécue !
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